Après la crise sanitaire, quels leviers de remobilisation pour les conseils citoyens ?

La crise sanitaire a particulièrement perturbé le fonctionnement des conseils citoyens et accentué la démobilisation de leurs membres. À l’heure de l’évaluation des contrats de ville 2014-2022, à laquelle sont censés être associés les conseils citoyens, leur remobilisation semble être une priorité, mais elle pose plus globalement la question du rôle des conseils citoyens tel que défini par la loi Lamy et de l’investissement de leurs membres sur la durée.

En 2019, la commission nationale du débat public (CNDP) faisait état d’un essoufflement de la dynamique des conseils citoyens et de la démobilisation de leurs membres[1], constat partagé par Labo Cités pour les conseils citoyens de la région Auvergne Rhône Alpes. La démobilisation massive survenue pendant la période électorale et la crise sanitaire en mars 2020 est plus alarmante puisqu’elle intervient à un an de la fin programmée des contrats de ville.

Pourquoi la mobilisation est-elle difficile ?

La mise en veille des conseils citoyens était à prévoir en mars 2020, en raison des élections municipales et de l’exigence de neutralité et d‘indépendance des conseils citoyens vis-à-vis des pouvoirs publics : ainsi, en région Auvergne-Rhône-Alpes, 1 conseil citoyen sur 4 était en sommeil pendant cette période. Le confinement de mars 2020 a cependant prolongé cette situation jusqu’à fin juin 2020, empêchant les conseils citoyens d’être associés aux instances du contrat de ville pendant quatre mois.

Malgré une reprise progressive en septembre 2020, le second confinement a reporté la tenue des instances, la rencontre avec les nouvelles équipes municipales et le renouvellement des conseils citoyens en 2021. En mars 2021, 2 conseils citoyens sur 5 sont en sommeil depuis un an. De nombreux professionnels de la politique de la ville et conseillers citoyens font le constat d’une difficulté accrue à motiver les membres du collège “habitants” (qui pour la plupart d’entre eux ne comptent plus que 5 membres actifs sur une quinzaine d’inscrits en préfecture) et à les associer aux instances de contrat de ville, y compris pour les conseils toujours actifs.

À l’heure actuelle, près de 3 conseils sur 5 n’ont pas de moyens pour se réunir, faute d’accès à un lieu de réunion permettant le respect des mesures sanitaires ou de maîtrise des outils numériques (visioconférence, espace de travail collaboratif en ligne). Parmi ceux qui se réunissent, 1 sur 3 le fait uniquement en présentiel, 1 sur 3 uniquement en distanciel et 1 sur 3 peut à la fois se réunir en présentiel et en distanciel.

La crise sanitaire a mis en lumière la surreprésentation des personnes âgées de plus de 50 ans au sein des conseils citoyens. En effet, nombreux sont les conseils à être en sommeil car les membres actifs ne maîtrisent pas les outils numériques et/ou sont des personnes à risque.

Différencier démobilisation et désenchantement

Peut-on vraiment parler de démobilisation des habitants des quartiers populaires alors que 3 conseillers citoyens sur 5 se sont engagés dans des associations et des actions de solidarité pendant la crise sanitaire et qu’1 conseil citoyen sur 4 a vu au moins un de ses membres se présenter aux élections municipales ?

Cet engagement, associatif et politique, signifie que le conseil citoyen ne semble plus, pour les habitants des quartiers politique de la ville, offrir un espace où leur voix sera entendue. Outre les difficultés à se réunir, dues à la crise sanitaire, le flou autour du rôle des conseils citoyens peut expliquer ce désenchantement. Si ceux-ci sont censés être “associés à l’élaboration, à la mise en œuvre et à l’évaluation des contrats de ville” selon la loi Lamy, beaucoup s’estiment peu écoutés ou peu associés à ces instances. D’autres conseils citoyens préfèrent porter des actions sur le quartier (financées par le contrat de ville ou le fonds de participation des habitants). Mais malgré l’implication des conseillers pendant la crise, 1 conseil citoyen sur 10 seulement a porté des actions en son nom, soit parce qu’il n’est pas constitué en association, soit parce que les habitants estiment que le rôle du conseil citoyen n’est pas de se substituer aux associations de quartier.

La difficile participation des conseils citoyens à l’élaboration et la mise en œuvre des contrats de ville et la démobilisation massive à un an de leur évaluation interpellent les nouvelles équipes municipales. Néanmoins, la moitié des conseils citoyens de la région ont commencé ou ont l’intention de commencer prochainement un renouvellement de leurs membres (par tirage au sort ou appel à volontaires).

La nécessaire remobilisation des conseils citoyens ?

Pour rendre possible le renouvellement des conseils et l’engagement de leurs membres sur le long terme, des leviers de remobilisation ont été imaginés par les participants à la visioconférence de mars 2021.

Si l’animation de quartier ou la conduite de projets à destination du quartier n’est pas le rôle des conseils citoyens selon la loi Lamy, il peut s’agir d’un important levier de remobilisation. En effet, les conseillers citoyens évoquent un désir de se rendre utiles pour leur quartier et de mener des actions concrètes et rapides à mettre en place. Mener des projets peut également donner une meilleure visibilité au conseil citoyen et donc attirer de nouveaux membres. Pour interpeller les habitants, les participants ont imaginé différents outils “d’aller vers” : gazette de quartier, flyers, porte-à-porte, permanences aux marchés, au local de la mairie, au centre social ou devant les écoles, tables de quartier, crieur public, chariots et animations de rues, projets à destination du quartier et ses habitants.

La remobilisation nécessite d’être attentif aux attentes et envies des habitants et d’adapter le conseil citoyen à celles-ci.

–       Pour les conseils citoyens désirant avant tout porter des projets de quartier, les participants estiment que la forme associative est plus adaptée que celle du collectif d’habitants, notamment pour faire des demandes de subvention ou organiser des évènements engageant la responsabilité civile des membres. Ils suggèrent donc la création d’une association d’habitants en parallèle du conseil validé en préfecture.

–       Pour les conseils citoyens ayant du mal à engager des habitants sur le long terme ou ne se sentant pas représentatifs, les participants suggèrent de coupler le conseil à d’autres dispositifs de participation tels que les tables de quartier[2], qui ont l’avantage de solliciter des non-habitués de la participation sur des périodes plus courtes que les conseils citoyens.

–       Pour les conseils citoyens intéressés par un sujet en particulier mais pas forcément par l’ensemble des volets du contrat de ville, les participants proposent de mettre en place des groupes de travail thématiques (ex : renouvellement urbain, propreté, relation avec les bailleurs). Ceux-ci peuvent également être croisés avec les groupes thématiques du contrat de ville.

Les conseils citoyens se retrouvent souvent en tension entre leur besoin d’accompagnement et leur désir d’autonomie. Pour les aider à maintenir une dynamique sans pour autant qu’ils soient chapeautés par le service politique de la ville de la commune ou les délégués du préfet, les participants trouvent essentiel la création d’un poste d’adulte-relais ou le conventionnement d’une association (type centre social ou espace de vie sociale) pour le portage associatif et l’animation. La démobilisation touchant surtout le collège “habitants”, les membres du collège “acteurs” sont également cités comme levier puisqu’ils possèdent des connaissances sur la politique de la ville et des savoir-faire en matière d’organisation collective que n’ont pas toujours les habitants à leur entrée au conseil citoyen.

Le décalage entre les désirs des conseils citoyens et les exigences de l’État réinterroge le rôle des conseils citoyens dans la politique de la ville. Parmi les leviers de remobilisation, sont évoqués des temps informels avec les élus, des procédures plus courtes, des rencontres en week-end ou en soirée plutôt qu’en journée. Pour éviter un essoufflement trop précoce, les participants suggèrent que les conseils citoyens s’attellent rapidement à des actions concrètes plutôt que de s’attarder sur la rédaction d’une charte. Ils proposent aussi  qu’on leur permette d’être partie prenante de projets territoriaux structurant. Une meilleure compréhension des logiques de l’engagement citoyen et une adaptation des professionnels de la politique de la ville à la temporalité des habitants semblent être les priorités de la remobilisation des conseils citoyens en 2021.

[1] La démocratie participative dans les quartiers prioritaires, quelles ambitions ? Quelle confiance ? Commission nationale du débat public, 2019, 116 p.
[2] https://www.centres-sociaux.fr/files/2016/10/4-Pages-2016-pr%C3%A9sentation-de-lexp%C3%A9.pdf

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Action liée

État des lieux des conseils citoyens de la région Auvergne Rhône-Alpes - 2021

Labo Cités a réalisé, d’octobre 2020 à février 2021, un état des lieux de l’activité des conseils citoyens suite aux élections municipales et à la crise sanitaire. Pour ce faire, une enquête a été conduite par entretiens téléphoniques auprès de techniciens des collectivités et de conseillers citoyens. Les résultats de l’enquête ont été partagés lors d’une visio-conférence organisée en mars 2021. À cette occasion, une soixantaine de participants (techniciens de collectivités, conseillers citoyens, élus, délégués du préfet et adultes-relais) ont réfléchi en atelier sur les leviers de remobilisation existants ou à inventer.

Territoire spécifique : Auvergne-Rhône-Alpes

Action réalisée par : Labo Cités

Avril 2021

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